J’étais
pieds nus, assis dans l’herbe grasse,
sur un versant dégagé de la montagne slovène quelques part au sud-est de
Ljubljana. Alignés sur plusieurs strates, se succédaient au loin devant moi
vallées et sommets majestueux recouverts de forêts. Enveloppé d’une légère
brume, comme un voile sur la montagne, le vert intense des forêts primaires se
dégradait à mesure que le soleil déclinait dans mon dos, faisant du ciel de
l’ouest un champ incandescent aux milles couleurs rougeoyantes. Lorsque mon
regard n’était pas aspiré par l’immensité puissante de cet horizon dentelé qui
s’étendait devant moi c’était pour se promener sur les lignes d’encre d’un
recueil de nouvelles de Maupassant que je tenais du bout des doigts.
Je
me levais timidement et marchais avec lenteur. Mon livre dans la poche, je
sentais l’herbe froide sous mes pieds nus me chatouiller les mollets. Du haut
de la petite colline, dans le contre bas d’une clairière en pente, j’aperçu
quatre biches à la lisière de la forêt. D’un mouvement harmonieusement
synchronisé, les quatre cervidés levèrent la tête et se retournèrent vers moi.
Je m’immobilisai. Trois d’entre elles prirent peur et s’enfuirent. Je me
retrouvai alors en tête à tête avec la dernière, moins farouche. Nous nous
fixâmes un moment. Elle s’habituait à moi comme je m’habituais à elle. Je
sentais les battements de mon cœur ralentir, nous étions les seuls êtres au
monde. Alors que la biche se penchait vers l’herbe savoureuse, je fis un pas de
coté pour venir m’assoir sur une pierre chaude. L’animal releva la tête et me
fixa de nouveau. Malgré la distance qui nous séparait je parvins à distinguer
dans ses yeux le reflet du couché du soleil. Je me sentais comme pénétré part
ce regard saisissant. J’avais également cette sensation d’entrer en elle, que
nos esprits étaient connectés, liés par un lien fort que rien de pouvait
détruire. Bientôt, ce fut l’éclat de la lune, particulièrement lumineuse ce
soir là, qui vint apparaitre dans ces grands yeux noirs.
La
fraicheur de cette soirée de mois d’août commençait à me transpercer, pourtant,
je continuais de fixer cette seule biche restée pour mon plus grand plaisir
solitaire, s’offrant entièrement à moi jusqu’aux premières étoiles.
Et
alors que les derniers rayons du soleil s’efforçaient de franchir les épais
obstacles sylvains, un faon, âgé tout juste de quelques semaines, apparut et
rejoignit ce qui semblait être sa mère. Peinant
à poser ses frêles pattes flageolantes l’une devant l’autre, son doux
regard innocent et curieux vint à la rencontre du mien, m’inondant d’une
sensation extraordinaire.
Et,
comme un mirage, après un dernier regard solennel, les deux êtres surnaturels
disparurent dans les bois, me laissant de nouveau seul avec le froid et ce
silence effrayant, n’ayant pour me réchauffer et me rassurer, que cette
sensation d’avoir été, au moins le temps d’un instant magique, l’homme le plus
privilégié de ce monde.
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